lundi 23 avril 2007

Nooon! Call of Cthulhu sur Xbox


Texte initialement publié sur xgital.com

(Noooon ! c'est le cri déchirant poussé par Jack Walters dans sa triste cellule de l'asile d'Arkham.)
Quand Jack Walters déchire l'espace d'une longue plainte, la caméra recule brusquement pour souligner le déplacement des ondes sonores. C'est souvent comme ça que font les metteurs en scène pour traduire l'abandon du héros, la tête tordue vers le cosmos. À qui s'adresse ce cri ?

Quelques années plutôt, le détective Walters pour les besoins d'une enquête avait investi un manoir battu par les flots et la pluie.
« Le temps presse, les policiers m'accompagnent vers la propriété où vivent reclus une bande de types singulièrement excités par la tempête. J'ai rendez-vous avec l'un d'entre eux et des coups de feu retentissent depuis l'inquiétante baraque. »

Pas le temps, donc, de s'attarder à voir la mer depuis la falaise où est perchée la vieille bâtisse. Jack! Ne jouez pas au touriste, me somme le sergent, alors que j'auscultais le visage d'un policier.
Pourquoi ce soir et pas dans un café lumineux, ce curieux rendez-vous? Peut-être cela correspond-il à une date importante, une date symbolique, du calendrier des exaltés planqués dans la maison qui surplombe l'océan qui gronde. Je dois m'infiltrer chez eux, entre les tirs qu'ils échangent avec le commando policier. J'avance le dos cassé, contraint à la position accroupie, le nez tendu en avant. La porte s'ouvre sans peine et je glisse dans le manoir. Qui dois-je voir dans cette vieille baraque assiégée, qui dois-je rencontrer, le grand chef de la secte de Waco ?

Privé d'interface type HUD sur l'écran et sans arme, je suis incapable de me protéger contre toute intrusion hostile, rien ne peut filtrer entre moi et l'expérience visuelle totale.
Pour m'approprier cet espace et y justifier ma présence, je dénomme les objets. Je pointe une table, un livre, un tableau et valide avec A.La voix laconique et bizarrement chaude de Jack décrit les objets et irise d'un vernis encore caustique la désolation qui m'entoure. Je donnerai donc aux plus d'éléments possibles une dimension sonore, via la voix rassurante de Jack.

Quand un spectacle difficile pénètre son champ de vision, le regard de Jack se trouble et son rythme cardiaque accélère. Jack et sa raison vacillent. Des sous-sols de la maison sur la falaise aux rues sombres d'Innsmouth, le paysage se décrit selon une progression lugubre, en une série d'emplacements de crimes imminents ou aux traces encore très fraîches. J'essaie de résister à ces visions puissantes et de plus en plus rapprochées en faisant vibrer la voix de Jack mais, bientôt les battements de son cœur couvrent toute tentative de rationaliser l'abominable.

Dans l'inventaire, il est permis de tempérer l'afflux sanguin de Jack et de soigner ses blessures. On utilise des bandages, des attelles, de la morphine. Sur l'image corporelle du personnage, je pointe les parties et les membres meurtris qu'il faut panser, comme on dorlote une poupée trop fragile.
Jack le détective au corps quadrillé, est parfaitement assujetti, comme je me soumets aux précipitations scénaristiques. Le détective débarque à bord d'un vieux bus dans la ville recluse d'Innsmouth, bordé par l'océan très proche.

Innsmouth n'est pas Nantucket et ne bénéficie ni de son microclimat tempéré, ni de son folklore gentiment fade. D'ailleurs Jack se dit qu'arrivé là, il a peu de chance de terminer sa vie comme détective pour personnes âgées dans une agréable station balnéaire de la côte atlantique. Ici ce serait plutôt Springfield* sans enfants, avec des Omer transformés en têtes de poisson pourri par un poison primitif.

Le pouvoir rassurant de la voix de Jack ne fonctionne plus, parce qu'elle n'est plus seule. L'air est rempli d'un vent mauvais soufflant dans la ville. Au coin d'une rue, devant chaque porte, une figure aux yeux globuleux me fixe sans mot. Face à ces silhouettes trapues au visage gonflé, je sens la nausée monter et j'aimerais trouver une présence et des paroles amies. Mais quand je pose une question pour faire avancer mon enquête, la figure s'anime, les mains serrant un bâton de dressage se braquent sur moi, une voix rauque et lente remonte. Elle m'appelle outsider, tu es d'ailleurs, pour signifier que dès mon arrivée dans la ville, j'en suis définitivement exclu.

Le classicisme des situations anxiogènes (on aime pas bien les étrangers, étranger) mêlé aux phases d'exploration menées à tâtons (est-ce que cette caisse peut être une bonne cachette ? comment sortir du hangar ?) constitue la base de la première partie de ce jeu âpre, sombre et violent. Les habitants d'Innsmouth se constituent en hordes et me donnent la chasse, dans des décors riches d'évocation et alambiqués (ici, on ne trouvera pas de piano sans partition devant une porte fermée dans une chambre dépouillée, les solutions ne sont pas données). Les entrepôts construits sur plusieurs étages, les temples, les tunnels visités en pleine course ou à couvert, réservent leur lot de surprises macabres et dangereuses. L'enquêteur, comme un prince en proie au vertige, est souvent amenés sur des fausses pistes et meurt sèchement et régulièrement, comme les rares personnages sympathiques qu'il croise. Telle est la poisseuse réalité d'Innsmouth.

(A suivre...)


1 commentaire:

Elia a dit…

excellent texte, ça remet bien dans l'ambiance :)
Il faut rester à couvert dans les coins sombres de la terre...
(je veux pas y aller, dans la maison gilman... >_<)